MÉMOIRE DU CONGRÈS DU TRAVAIL DU CANADA

Résumé analytique

Au nom des 3,2 millions de membres du Congrès du travail du Canada (CTC), nous tenons à vous remercier de nous avons donné l’occasion de présenter notre point de vue. Le CTC regroupe les syndicats nationaux et internationaux du Canada ainsi que les fédérations provinciales et territoriales de la main-d’œuvre et 130 conseils du travail de district dont les membres travaillent dans pratiquement tous les secteurs de l’économie canadienne, dans tous les groupes professionnels et dans toutes les régions du Canada.

Le Congrès du travail du Canada recommande :

1.    Que les dépenses que le gouvernement fédéral consacre à ses programmes soient maintenues à leur niveau actuel (2011-2012) en proportion de l’économie, et à ce que l’Examen stratégique et fonctionnel soit annulé. Nous souscrivons à l’examen constant de l’efficacité des programmes gouvernementaux, mais les économies doivent viser le financement des nouvelles priorités, comme une amélioration du Supplément de revenu garanti et des prestations d’assurance-emploi, ainsi que des programmes de création d’emplois et un programme national de garderie et d’apprentissage des jeunes enfants.

2.    Que les gouvernements fédéral et provinciaux déclarent qu’il faut de toute urgence donner de l’expansion au Régime de pensions du Canada en doublant les prestations, mises en place progressivement en fonction d’une précotisation, et que le gouvernement fédéral augmente le Supplément de revenu garanti pour éliminer la pauvreté chez les personnes âgées.

3.    Que le gouvernement fédéral adopte un important programme pluriannuel d’investissements publics pour créer des emplois dès aujourd’hui et pour atteindre nos objectifs environnementaux et sociaux tout en stimulant les investissements et la productivité du secteur privé. Les coûts initiaux doivent être financés par une augmentation à 19,5 % de l’impôt fédéral sur le revenu des sociétés.

A. La conjoncture économique et financière

Le principal problème économique auquel se heurtent les Canadiens est un marché du travail affaibli qui se remet lentement, et non pas les déficits de l’État. À vrai dire, les réductions prévues des dépenses fédérales ne feront qu’aggraver le véritable problème.

En date de juillet 2011, le marché de l’emploi demeurait beaucoup plus faible qu’avant la crise d’octobre 2008. Le taux de chômage était nettement supérieur (puisqu’il est passé de 6,1 à 7,2 %), la proportion de la population active occupant n’importe quel type d’emploi était moindre (de 63,5 à 61,9 %) et la proportion de travailleurs à temps partiel et de travailleurs à temps partiel involontaires a nettement augmenté. Les emplois permanents à temps plein restent très difficiles à trouver dans de nombreuses régions du pays. Le « véritable » taux de chômage – qui tient compte des décrocheurs de la population active et des travailleurs à temps partiel involontaires – était de 11,1 % en juillet, alors qu’il était de 9,4 % en juillet 2008, tandis que le « véritable » taux de chômage des jeunes travailleurs atteignait le taux record de 21,6 %.

On prévoit en 2012 un maintien de la croissance très morose, le taux de chômage restant nettement au-dessus de 7 %. L’économie américaine demeure extrêmement affaiblie en raison du fort endettement des ménages, d’un marché du logement extrêmement faible et du passage d’un programme de relance faible à des réductions des dépenses. L’austérité est également à l’ordre du jour dans la majeure partie de l’Europe. La crainte d’une récession « à double creux » a précipité la chute vertigineuse des bourses au mois d’août.

En août 2011, l’OCDE et le FMI prévoyaient une relance très lente des économies avancées, ce qui sera lourd de conséquences sur les exportations canadiennes de produits manufacturés, étant donné le taux de change très élevé du dollar canadien. À part les secteurs de l’énergie et de l’exploitation minière qui offrent relativement peu d’emplois directs, la reprise de l’économie canadienne est faible et fragile.

Le gouvernement conservateur se concentre beaucoup sur les importantes réductions de dépenses pour rapidement éponger le déficit, même si la relance est faible et que la dette totale du gouvernement canadien est très basse. La dette nette totale du gouvernement canadien représente à peine 33,7 % du PIB, contre une moyenne de 62,6 % dans les pays de l’OCDE. En outre, les taux d’intérêt sont à des niveaux qui n’ont jamais été si bas de toute l’histoire du pays. Le gouvernement du Canada peut emprunter par des obligations sur 10 ans à un taux d’intérêt nettement inférieur à 3 %. En dépit d’une situation financière relativement solide, le Canada a décidé de réduire ses dépenses à un niveau plus important que la plupart des autres pays industriels évolués.

Le déficit financier du gouvernement fédéral est déjà très minime, puisqu’il représente à peine 1,9 % du PIB pour cet exercice. Le budget fédéral de juin 2011 prévoit que le déficit fédéral reculera de 1,9 % du PIB en 2011-2012 à à peine 1,1 % l’an prochain, et à zéro en 2014-2015. Cette chute du déficit est principalement attribuable aux réductions déjà annoncées des dépenses que le gouvernement fédéral consacre à ses programmes, qui passeront de 14,5 % du PIB cette année à 13,1 % du PIB en 2014-2015.

En plus de budgets de fonctionnement gelés et de la mise en œuvre des résultats d’examens stratégiques préalables, le gouvernement prévoit de réaliser 4 milliards de dollars d’économies annuelles supplémentaires d’ici à 2014-2015 par le biais de l’Examen stratégique et fonctionnel. L’objectif primordial de l’examen n’est pas d’éponger le déficit, mais plutôt de débloquer des ressources pour financer le nouveau cycle de réductions de l’impôt sur le revenu annoncées par les conservateurs lors de l’élection de 2011. L’expansion prévue des comptes d’épargne exonérés d’impôt et l’introduction du fractionnement du revenu des familles qui ont des enfants bénéficieront pour la majeure partie aux Canadiens nantis.

Les réductions des dépenses à l’échelle fédérale et provinciale auront pour effet de réduire le déficit confondu du gouvernement canadien de 4,9 % du PIB en 2011 à 3,5 % en 2012, selon l’OCDE. Cela aura des effets fâcheux sur la relance de l’économie et la création d’emplois. Selon les économistes du FMI, l’assainissement des finances publiques à hauteur de 1 % du PIB réduira de 0,75 % la consommation des particuliers au cours des deux prochaines années, tandis que le PIB réel baissera de 0,62 %[1].

La priorité du budget de 2012 doit être de maintenir l’élan de la relance de l’économie et de la création d’emplois, et non pas d’accélérer artificiellement le rythme de réduction du déficit par des réductions des dépenses contre-productives. Il est déjà manifeste que ces réductions ne supprimeront pas seulement des emplois, mais réduiront également d’importants programmes et services.

Le Congrès du travail du Canada recommande que les dépenses que le gouvernement fédéral consacre à ses programmes soient maintenues à leur niveau actuel (2011-2012) en proportion du PIB, et que l’Examen stratégique et fonctionnel soit annulé. Nous souscrivons à l’examen constant de l’efficacité des programmes de l’État, mais les économies doivent servir à financer de nouvelles priorités, comme l’amélioration du Supplément de revenu garanti et des prestations d’assurance-emploi, de même que les programmes de création d’emplois et un programme national de garderie et d’apprentissage pour les très jeunes.

B. Pensions de l’État

La crise a révélé des vices majeurs au cœur de notre régime de pensions. Nos pensions publiques – la Sécurité de la vieillesse (SV) et le Supplément de revenu garanti (SRG), sans oublier le Régime de pensions du Canada (RPC) – assurent un revenu garanti aux retraités, même si la valeur maximale des régimes publics est loin de remplacer la part de 50 à 70 % du revenu avant la retraite pour maintenir un niveau de vie décent. Pendant ce temps, le volet privé de notre régime de retraites connaît de sérieux ennuis. À peine un travailleur du secteur privé sur quatre cotise aujourd’hui à un régime de retraite d’employeur, les autres étant forcés de compter sur des REER à prix élevé dont les rendements sont très faibles et incertains.

Selon l’ex-statisticien adjoint en chef Michael Wolfson, en vertu des mécanismes de pension du secteur public et privé, jusqu’à la moitié des salariés à revenu moyen de la génération du baby-boom nés entre 1945 et 1970 essuieront un manque à recevoir d’au moins 25 % après la retraite.

Une personne âgée sur trois a déjà droit au Supplément de revenu garanti de la Sécurité de la vieillesse. Ceux qui touchent des prestations ont des revenus inférieurs ou tout juste supérieurs au seuil de pauvreté. Les coûts du SRG devraient passer de 9,2 milliards de dollars cette année à 24 milliards de dollars en 2030 en raison du vieillissement de la population et de l’insuffisance des retraites. En fait, les contribuables prennent en charge le coût des régimes de retraite d’employeur insuffisants.

Nous continuons de réclamer le doublement des prestations du RPC, selon la formule d’une précotisation intégrale, et nous sommes favorables à l’expansion du RPC par sept provinces. Nous demandons aux gouvernements fédéral et provinciaux de poursuivre cette option à titre prioritaire. Le RPC offre des prestations déterminées, qui sont entièrement indexées sur l’inflation, et le régime fonctionne à un coût nettement inférieur aux « régimes de pension agréés collectifs » proposés qui entraîneront des cotisations importantes pour le secteur financier et auront un rendement variable et incertain.

Nous réclamons également une augmentation du Supplément de revenu garanti pour éliminer la pauvreté parmi les personnes âgées.

Dans le budget de juin 2011, le gouvernement fédéral a annoncé une nouvelle prestation complémentaire du SRG, mais celle-ci ne présente qu’un avantage très minime, même pour les personnes âgées à très faible revenu. La prestation supplémentaire maximale se chiffre à 600 $ par an pour les personnes âgées célibataires et à 840 $ pour les couples, et elle n’intéresse que les personnes âgées célibataires dont le revenu annuel est égal ou inférieure à 2 000 $ (à l’exception de la Sécurité de la vieillesse et du Supplément de revenu garanti), de même que les couples dont le revenu annuel confondu est égal ou inférieur à 4 000 $. Le montant intégral de la prestation complémentaire est ramené à zéro pour un niveau de revenu d’à peine 4 400 $ pour les célibataires et de 7 360 $ pour les couples. Seul un bénéficiaire du SRG sur quatre aura droit à la prestation complémentaire.

Le CTC a réclamé une hausse de 15 % du SRG, dont le coût supplémentaire sera d’environ 1 milliard de dollars par an. Cela devrait suffire à faire sortir toutes les personnes âgées de la catégorie à faible revenu.

Le Congrès du travail du Canada recommande aux gouvernements fédéral et provinciaux de poursuivre l’expansion du Régime de pensions du Canada à titre prioritaire en doublant les prestations, selon une formule à précotisation intégrale, et au gouvernement fédéral de majorer le Supplément de revenu garanti pour éliminer la pauvreté parmi les personnes âgées.

C. Emplois

Le programme d’investissement dans les infrastructures échelonné sur deux ans a nettement contribué à la relance de l’économie, mais il a aujourd’hui expiré.

Le CTC demande au gouvernement fédéral de lancer, avec le concours des provinces et des municipalités, un important programme pluriannuel d’investissements publics qui créera des emplois dès aujourd’hui, nous permettra d’atteindre nos objectifs environnementaux, stimulera les nouveaux investissements du secteur privé et stimulera également la productivité.

Un tel programme doit prévoir une augmentation de l’aide pour les infrastructures municipales de base : les transports en commun et les services ferroviaires voyageurs; les logements abordables; les économies d’énergie par la rénovation des habitations et les projets d’énergies renouvelables.

L’aide apportée par le gouvernement fédéral aux investissements dans les infrastructures et dans l’environnement doit être liée à des politiques d’achat « fabriqué au Canada » pour que les facteurs de production des produits et des services soient achetés au Canada. Quant aux infrastructures, elles doivent avoir un volet de formation obligatoire pour aider à résoudre les pénuries de compétences qui pointent à l’horizon.

Le gouvernement fédéral doit également engager des investissements dans un programme national à but non lucratif de garderies et d’apprentissage des jeunes enfants; de soins à domicile dans le cadre du régime public de soins de santé; et de soins de longue durée pour les personnes âgées. Ces programmes créeront de nouveaux emplois tout en nous aidant à atteindre nos objectifs sociaux.

Les recherches économiques révèlent que de nombreux grands investissements publics s’autofinancent étant donné que les effets favorables sur la croissance de l’économie et la productivité du secteur privé stimulent les recettes futures des gouvernements. Par exemple, le Board of Trade de Toronto soutient que les gros investissements dans les transports en commun réduiront nettement les coûts des entreprises attribuables aux encombrements de la circulation, stimuleront la productivité alors que le grand économiste québécois, Pierre Fortin, estime que le coût annuel de la subvention du Québec pour les services de garde à l’enfance est pris en charge par l’avantage qui résulte du taux de participation accru à la population active des parents de jeunes enfants, et par de meilleures chances pour les enfants.

Les coûts initiaux d’un grand programme d’investissements publics devraient être absorbés par l’augmentation du taux fédéral d’impôt sur le revenu des sociétés de 15 % en 2012 à 19,5 %, ce qui permettra de percevoir 9 milliards de dollars par an de recettes annuelles supplémentaires. Les réductions inconditionnelles du taux d’imposition des sociétés ont des répercussions très limitées sur les nouveaux investissements privés, même s’ils stimulent les bénéfices après impôt de secteurs comme les finances, le pétrole et le gaz, qui sont déjà éminemment rentables. Le CTC continue de militer en faveur d’une aide ciblée pour les nouveaux investissements du secteur privé par des crédits d’impôt à l’investissement ou des radiations rapides des investissements dans les nouveaux équipements et machines.

Le CTC recommande que le gouvernement fédéral lance un important programme pluriannuel d’investissements publics pour créer des emplois dès aujourd’hui, pour nous permettre d’atteindre nos objectifs environnementaux et sociaux tout en stimulant les investissements et la productivité du secteur privé. Les coûts initiaux doivent être financés par une augmentation du taux fédéral d’imposition des sociétés à 19,5 %.

Conclusion

Le Canada a un niveau d’endettement public très bas, les coûts d’emprunt du gouvernement fédéral sont très bas et le demeureront, tandis que de nombreux investissements publics ont un taux de rendement élevé si on se fonde sur la création immédiate d’emplois, les avantages publics et la croissance de la productivité du secteur privé. Les investissements du secteur privé sont toujours très rares, et nous continuons d’attendre une puissante relance soutenue de l’économie des États-Unis et des économies mondiales. Il existe un véritable danger de récession « à double creux » si l’objectif du budget fédéral est d’éponger rapidement le déficit et la dette par des réductions préjudiciables des dépenses.